La bataille du ciel des aviateurs alliés
Dans un ouvrage publié en 1994, Des rails vitaux, suivi d'un deuxième tome en 2004, Bernard Staels (*) a décrit avec précision la stratégie de bombardement des Alliés jusqu'à la réalisation d'un raid aérien, avec le cas de Vierzon. L'objectif était de créer un désert ferroviaire autour de Caen, où se jouait une bataille décisive, après le débarquement de Normandie, avec soixante-quinze raids aériens dont celui de Vierzon. Située au carrefour de voies ferroviaires, la ville a été bombardée le 1 er juillet 1944.
836 hommes de Grande-Bretagne, Australie, Canada et Pologne, sont partis au combat de nuitAprès avoir évoqué (lire notre édition du 1 er juillet) les conséquences de ce raid sur les infrastructures ferroviaires et dans la ville, où avaient été recensés plus de 1.000 points d'impact de bombes, ce second volet raconte la bataille du ciel, grâce aux nouvelles recherches (mémoire de témoins, archives) réalisées par Bernard Staels, invité en juin dernier à une conférence du Cercle historique.
« L'ampleur de la bataille aérienne est moins connue des Vierzonnais, ayant eu lieu hors de leur vue et de nuit. Cent seize Lancasters britanniques ont reçu l'ordre d'attaquer "la cible vitale de Vierzon, si importante que vous aurez les diversions nécessaires Une attaque réussie aura un effet direct sur la bataille présente du sud de Caen" ( comme l'attestent ses archives, N.D.L.R.). »
À portée de la DCABernard Staels raconte : « Les 116 "night bombers" décollèrent à 22 heures, firent trois heures de vol et ne disposèrent que de dix minutes pour larguer leurs 1.500 bombes car l'été, les nuits sont courtes : première vague de 55 Lancasters de 1 heure à 1 h 04, deuxième vague de 55 autres, de 1 h 06 à 1 h 10. Les avions sont passés par Blois, ont effectué une boucle sur Vierzon et sont retournés vers Blois. 836 hommes de Grande-Bretagne, Australie, Canada et Pologne, sont partis au combat de nuit, tous des spécialistes aguerris prêts à risquer leur vie puisque devant bombarder à 2.500 mètres de hauteur, à portée de la défense antiaérienne allemande, DCA ou Flak, en allemand. Tous des professionnels. Leur Master Bomber, John Marks, 24 ans, les guidait à 6.000 mètres. Dans l'avion abattu à Massay, seul survivra Harry Taylor. À Theillay, l'écossais Archibald Orr mourut héroïquement en évitant de s'écraser sur le village. L'obsession des bombardiers était la précision, et très particulièrement en France : c'est une question d'intelligence de la cible, sa localisation et son marquage. Ils disposaient d'écrans leur donnant le plan réel du terrain. De nuit, le marquage était indispensable : spots rouges au sol pour la première vague, fusées jaunes parachutées pour la deuxième. »
Erreurs de marquage« Dès le début, un équipage signalait que les premiers spots étaient trop au sud du point objectif du Grelet et faisait rectifier. N'oublions pas que les appareils ne disposaient que de trente secondes pour parcourir le triage de la gare et qu'ils se suivaient toutes les dix secondes ! C'est ainsi que durant la deuxième vague, quand les fusées jaunes furent hors cible, vingt-six appareils ne purent rectifier leur tir. »
Ces erreurs qui ne se sont pas avérées exceptionnelles, comme l'attestent les débriefings qui ont suivi, ont provoqué des dégâts collatéraux très mal vécus par les habitants. Le résultat moins bon que pour d'autres raids a été attribué « aux énormes fumées et donc, à une visibilité très faible ainsi qu'aux attaques et brouillages persistants de la chasse allemande » explique Bernard Staels.
12 % de manquants« Au retour, le décompte des manquants fut long et dramatique : six de la première vague, huit de la deuxième, soit quatorze équipages sur 116 : 12 %, un chiffre énorme. Deux ont été abattus avant de bombarder (à Vouzon et Theillay) et douze autres l'ont été sur le retour. Au total, douze villes avaient encaissé des crashes, dont les cimetières attestent que quatre-vingt-six hommes ne revinrent pas à leur base. De ce raid, seuls quinze aviateurs revinrent, après la guerre dont six à Vouzon, trois à Theillay et un à Massay. »
« Il s'est dit que la Luftwaffe n'existait plus au débarquement ni après : inexact ! La chasse de nuit (NJG), basée à Laon, Saint-Dizier et en Belgique, faisait des hécatombes de bombardiers. À Vierzon, les équipages de retour parleront surtout de la Flak. En fait, la NJG travaillait elle aussi la nuit. Les comptes rendus britanniques relatent leur apparition 54 minutes après l'entrée en France, puis, qu'ils se sont orientés vers Orléans et redirigés, d'après les fusées visibles de loin. »
Le prix à payer« Des attaques sont relevées à 1 heure, 1 h 10, 1 h 13, 1 h 14, 1 h 16, 1 h 21 pendant le bombardement, auxquelles s'ajoutent les 14 crashes : à 1 h 08 à Vouzon, 1 h 12 à Theillay, 1 h 18 à Genouilly, Massay et Saint-Pierre de Jards (Indre), 1 h 19 à Langon, 1 h 25 à La Ferté Saint-Cyr et Vernou (Loir-et-Cher). La chasse de nuit allemande avait été brillante, mobilisée pour une cible importante. Elle croyait encore à sa mission. Ceci permet d'évaluer les enjeux du bombardement de Vierzon : ses victimes civiles et ses lourdes pertes militaires étaient le prix à payer pour enfin sécuriser la tête de pont en Normandie. Cette guerre mondiale venait de lancer de nouvelles techniques. »
(*) Historien amateur du Pas-de-Calais. Son travail, reconnu, inédit en Berry, a été à l'origine d'expositions, retrouvailles et commémorations.