La météo automnale de cette journée à la Maison Elsa Triolet-Aragon inquiétait moins les invités, ce 9 juin, qu’une autre menace, plus sérieuse, car de nature financière.
Le lieu.
En 1951, Louis Aragon offre à Elsa Triolet, cet ancien moulin de Villeneuve, près de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Il sera, pendant vingt ans, le lieu du couple, du travail et des amis. L’anti-Paris où ils gardent un appartement.
Après la mort d’Elsa en 1970, Aragon conserve la propriété, mais il n’y vient plus aussi souvent. Et finalement, la lègue à la France, demandant qu’elle devienne un centre actif, après sa disparition qui survient en 1982.
« Que serais-je sans toi ? »Une fois les travaux et démarches nécessaires effectués, la Maison Elsa Triolet-Aragon, ouvre au public en 1994. Elle héberge le Centre de recherche et de création Louis-Aragon/Elsa-Triolet. Le tout géré par une association que préside Edmonde Charles-Roux.
brightcove.createExperiences();Bernard Vasseur qui en est le directeur - bénévole - depuis 1998 l’anime, aidé par une équipe de sept permanents. « Le public ne cesse de grandir, dit-il. Nous comptions un peu moins de 5.000 visiteurs à mon arrivée, plus de 20.000 l’an dernier dont 7.000 scolaires ».
Ce moulin avec son immense parc est ainsi devenu un musée vivant. « Pas un cimetière, pas le culte des morts, se réjouit Pierre Juquin, mais un lieu de colloques, des rencontres, un lieu avec des ateliers pour les enfants et des expositions d’artistes contemporains (1). Vous connaissez la curiosité et l’intérêt d’Aragon pour les artistes de son temps ».
Le problème.
Il est financier. « Dans le même temps l’État diminue notre subvention, la ramenant de 110.000 €, à 100.000 et il augmente notre loyer de manière astronomique. Il était de 18.000 € jusque-là, il est passé à 28.000 cette année et l’on nous annonce 29.400 pour l’an prochain ! Soit une baisse considérable. Dans ces conditions je ne sais pas comment faire pour maintenir la maison ouverte jusqu’à la fin de l’année (2) ».
Face à cette situation, Edmonde Charles-Roux reste déterminée. « Pas d’autre solution que la lutte », dit-elle. Et Pierre Juquin n’est pas moins convaincu, « Nous devons nous battre pour sauver les crédits de cette maison. Parce qu’Aragon n’appartient à aucune chapelle, aucun parti bien qu’il ait été communiste jusqu’à son dernier souffle. Il appartient au patrimoine national ! ».
Aragon.
Ce qui conduit à cette autre question : Aragon occupe-t-il la place qui lui revient dans les lettres françaises ? « Il est toujours surdéterminé par la politique, reconnaît Bernard Vasseur. Un poids dont il se libère avec le temps. Aragon c’est 7 tomes dans la pléiade, bientôt 8 ! ».
« Est-il reconnu ? Oui et non, ajoute Pierre Juquin. S’il est parfois ignoré, tout le monde le connaît. Parce que Ferré l’a chanté et surtout Ferrat a fait descendre dans la rue, les manifestations, les bals du samedi soir, une poésie complexe, savante, la poésie d’Aragon. Qui ne connaît Heureux celui qui meurt d’aimer ou Que serais-je sans toi ? ».
« Et tout est lié, conclue Bernard Vasseur, nous aimerions, à partir de ce lieu, par notre travail, convaincre les gens d’aller jusqu’à ses livres. »
(1) Les sculptures et peintures de Speedy Graphito jusqu’au 15 septembre, ensuite les œuvres de Peter Stämpkfli.
(2) Crise qu’une bonne gestion permet de tempérer légèrement : les aides de l’État ne représentent plus que 30 % du budget global (contre 60, à l’origine), grâce aux recettes et aux apports privés.
Daniel Martin