Putain, nous n’irons plus chez Ber. Il dort comme Ferré. Le sommeil longue durée l’aura donc emporté…
Nous n’irons plus chez Ber, pour le plaisir de l’homme, sa solide amitié, son amour des lettres, des mots, surtout rimés. Pierre-Philippe Béranger a levé le bras de son tourne-disque. Il a jeté sa vie dans une dernière pochette. Il a coupé le son. Putain, même la lumière. Rallumez les projos. Et rallumez l’ampli. Il doit y avoir erreur.
Nous n’irons plus chez Ber, cet éternel bavard. Le quartier des Pillots peut baisser le drapeau de sa douceur de vivre : l’enfant du coin de la rue ne pourra plus sourire. L’amidon de l’absence va donc l’en empêcher. L’enfant de la musique, l’ado de la galette, cet adulte enfanté d’une passion viscérale, conserve en lui les musiques qu’il aura tant aimées. Ce MP3 vivant de soixante piges, pouvait garder en lui plus de trésors musicaux que n’importe quel disque dur.
Un maître du tempsC’était un maître du temps : il le retenait à travers les objets que l’on disait anciens. Ce n’était pas du sang qui coulait dans ses veines, c’était de la musique, des globules de solfège, des plaquettes de rock, de blues. Sa curiosité était sans cesse revisitée. Il y a des soifs que rien ne peut étancher.
Nous n’irons plus chez Ber, dans son garage-bistrot, sous ses peintures murales, dans sa maison ventée d’ouragans d’amitié, de copains en partance et d’autres qui entraient. Il fallait enjamber du regard, ses trésors, ses livres, ses disques, ses fantômes amicaux, ce temps à reculons qui lui était compté. Tout était habité : la table, les meubles, le frigo, mais surtout le grenier, un temple indescriptible de vinyles par milliers. Et son âme, qui n’a jamais exploré la grandeur de son âme ?
La maison paternelle et celle de ses aïeux, c’était l’âme bleue des Pillots qui coulaient des volets. Ce Ber, si Vierzonnais mais qu’un peu Berruyer pour tous les salons qu’il organisait à Bourges (Pub and Toy, BDisques), marchait nonchalamment dans le cœur de ses potes. Et ils étaient si nombreux sur le grand vélo de Pierre-Philippe. Le vélo, c’est comme la musique, une question de tempo et de passion.
La dernière soirée de concerts chez lui s’est déroulée sans luiNous n’irons plus chez Ber, le bouton est sur off. La musique est en deuil, le rock est cul-de-jatte, les paroles sont muettes. Ses salons de la Halle au Blé pourront-ils se remettre du voyage sans retour de leur père naturel ? Quels regards poserons-nous sur le degré des choses, désormais ?
Nous n’irons plus chez Ber, le phare s’est retiré. Le destin est cruel : samedi, dans son jardin, au pied de sa roulotte de la rue des Pillots, la dernière soirée des concerts qu’il organisait chez lui, s’est déroulée sans lui.
De son lit d’hôpital, il a suivi d’une oreille curieuse, ce final prémonitoire : le der chez Ber, sa meilleure cuvée de potes. La der de Ber, dans le sillage des heures qui ont suivi. J´connais un´ grue qu´a pas d´principes, Les dents longu´s comme un jour sans pain, Qui dégrafait tous les gamins, Fumant leur vie dans leur cass´-pipe : c’est du Ferré, la Marseillaise. Prends, t’adorait ça. Et adresse-lui nos amitiés, à ton Léo. Nos amitiés, c’est ce qui a foncé en premier dans le siphon de ton départ. Tu es parti avec.
Rémy Beurion