« En juin, on a aidé des gens affamés »
Sur le revers de sa veste, un petit pin's rond rouge et blanc. Didier Robert porte toujours sur lui la marque de la Croix-Rouge dont il préside l'antenne saint-amandoise depuis 2007. Il l'avait samedi matin quand il est entré dans l'agence du Berry républicain.
Mais il n'était pas seul. Didier Robert est venu accompagné de Martine Gilot, une bénévole depuis 2009 qui « n'imaginait pas ce que peut être la misère » et qui, chaque jour, tente d'aider avec les autres bénévoles, ceux qui ont moins de chance qu'eux.
n Comment êtes-vous devenue bénévole de la Croix-Rouge, Martine ?
Martine Gilot : Je venais d'arrêter le comité des fêtes et d'animations culturelles (CFAC) de Drevant et une amie, Monique Roux, quittait la Croix-Rouge. J'ai commencé d'abord au vestiaire des enfants, puis j'ai pris la trésorerie. Je fais désormais aussi la permanence sociale et c'est là que l'on se rend compte de la misère à Saint-Amand.
n Cette misère, vous la voyez augmenter ?
M.G. : En juin, j'ai constaté une hausse de la demande. C'est le mois où arrivent beaucoup de factures, le reliquat des prélèvements… L'année dernière, on a distribué 6.000 euros d'aide alimentaire. Fin mai, on en est déjà à 3.500 euros. On sait déjà que l'on va donner plus que l'année dernière. En fin de mois, on se rend compte que les gens qui viennent au local n'ont vraiment plus rien, plus à manger. Beaucoup d'entre eux rencontrent des soucis notamment à cause des échéanciers d'ERDF qui arrivent en juin. En juin, on a vu des gens affamés. Ça me touche. (...)
« C'est la faim qui me touche le plus. Avoir faim, ce n'est pas normal »Didier Robert : Il y a pour nous un côté frustrant, on aimerait faire davantage mais il faut accepter de n'être qu'un maillon de la chaîne et ce statut-là nous préserve de nous prendre pour le héros qui a sauvé le monde. Ça nous invite à la modestie, à un certain effacement. C'est parce que les bénévoles tiennent tous leur place qu'on peut aider les gens. (...)
n Quelle est la situation saint-amandoise ?
D.R. : C'est difficile pour le marché du travail. Et à Saint-Amand, il est plus difficile d'être pauvre qu'à Paris car dans une petite ville, les gens sont connus. On ne peut pas s'imaginer ce que ressentent ceux qui poussent la porte du local. Ce n'est pas évident d'expliquer leur situation. Qui sommes-nous pour leur demander d'expliquer leur situation ? Partout où ils vont, ils réexpliquent leur situation, il y a un côté presque humiliant. Le droit de manger à sa faim doit être justifié par l'explication de sa situation, cela touche à l'intimité. (...)
n Vous donnez beaucoup. Est-ce que les rentrées sont à la hauteur de ce que vous reversez ?
D.R. : Notre budget annuel est de 30.000 euros, dont 20.000 euros reversés. La quête est une aide conséquente, cette année elle a rapporté 3.700 euros. Tout ce qui est donné reste à l'antenne saint-amandoise. Ce sont les Saint-Amandois qui aident des Saint-Amandois, c'est important. En 2012, on a reçu 4.700 euros de dons de gens et on a aussi des associations qui organisent des événements dont les bénéfices nous sont reversés. On a aussi des subventions comme celle de la ville qui nous loge et nous chauffe et celles de communes voisines.
n Certains dons, comme celui des collégiens de Jean-Moulin qui vous ont reversé les bénéfices de leur entreprise, doivent avoir un sens particulier.
M.G. : Ce fut un immense plaisir. Leur création d'entreprise est un projet exceptionnel. Ces enfants ont travaillé pour la Croix-Rouge. Ils voulaient être sûrs que l'argent soit bien utilisé pour les enfants. C'est un geste incroyable. (...)
n Avez-vous des moments d'abattement face à la misère qui augmente ?
D.R. : Non. On n'est pas là pour s'épuiser mais pour s'enrichir. Après une rencontre, le bénévole ne peut pas tenir debout s'il ne se demande pas ce qu'il a reçu. Il faut que l'engagement soit un lieu de ressourcement. C'est une leçon de vie, ça aide à relativiser.
M.G. : Nous avons été très gâtés par la vie. Il est donc important d'écouter et d'aider ces gens. Je ne soupçonnais pas qu'une telle misère pouvait exister.