Isabelle Yacoubou : « Dans les images qui me restent, il y a notre quart de finale contre les Tchèques. C'est un match que l'on a cru perdu. Je me rappelle qu'on était toutes paniquées. Pierre Vincent (le sélectionneur, NDLR) nous a regardé et nous a dit : "Pensez possession par possession, arrêtez de vous projeter sur l'issue du match". Il lisait sans doute en nous une peur de perdre et d'échouer si près du but. »
Élodie Godin : « Je me bloque le dos et je suis obligée de quitter le terrain. On faisait un match catastrophique. Je me suis dit : "Encore un quart de finale que l'on va perdre". Pendant de nombreuses années, on échouait en quart de finale avec l’équipe de France. C’était un stade un peu dur à passer. Et puis il y a eu le titre européen en 2009. Cette médaille d'or nous a lancé et nous a montré qu'on pouvait le faire. Pour moi, les JO de 2012, ça part de là. »
Les Braqueuses, pas par hasard
Isabelle Yacoubou : « Pierre est arrivé en 2008 dans l'idée de construire un groupe. Il a dû rappeler Cathy Melain parce qu’on n’avait pas d’expérience internationale. En 2009, même nous, on a été surprises d’être championnes d’Europe. Je pense que personne ne l’aurait parié, même lui, même nous. On a appris à travailler ensemble, à se persuader qu’il fallait qu’on impose notre densité physique, qu’on essaye de fatiguer l’adversaire comme un rouleau-compresseur. Physiquement, on était un petit peu au-dessus. Donc on les amenait dans les cinq dernières minutes pour, là, faire basculer le match. Ça a plutôt marché et c'est pour ça qu'on était surnommées, à partir de 2009, les Braqueuses. »
Élodie Godin : « Le scénario s’est reproduit aux JO avec une Céline Dumerc qui marquait des paniers de partout, on gagnait beaucoup de matchs au buzzer ou après prolongation. Il y a eu des gros matchs tout au long de la compétition qui m’ont rappelé un petit peu le championnat d’Europe. Je me rappelle très bien de l’Australie, un match de poule très disputé contre un pays que l’on n'avait pas gagné depuis de nombreuses années. Il y a eu les Anglaises où l’on est devant une salle blindée où l’on gagne après prolongation. Contre les Tchèques, il y a eu un bon déclic où on est allées chercher cette victoire en équipe. Je me revois dans le vestiaire complètement out à cause de mon dos, mais à sauter en fin de match parce que c’était tout simplement énorme. »
Des Russes très hautaines
Isabelle Yacoubou : « Ce match-là, je n'en reviendrai jamais. Et puis évidemment quand on gagne contre les Russes (en demi-finale, NDLR), on avait notre médaille d’or olympique à nous. On savait que les États-Unis étaient intouchables. Pour nous, c’était la fête avant l’heure. »
Élodie Godin : « Les Russes, c’était une des plus grandes victoires de ma carrière. Je me rappelle du speech de Pierre Vincent avant ce match-là. Les Russes ont dit dans la presse : "On a fait exprès de perdre contre la France, quelques jours plus tôt, pour ne pas retrouver les États-Unis en demi-finale. Et on est plus fortes qu’elles." Je me rappellerai toujours de cet article. Pierre n’est pas du genre à nous montrer des articles de presse, ça nous a vachement marquées. On s’est dit : "Ok, vous avez fait exprès. Et bien, battez-nous ce soir." »
« Normalement, il y a réaction... »
Isabelle Yacoubou : « Pour faire du sport de haut niveau, il faut un minimum d’ego. Je pense que ce jour-là, ça nous a toutes piqué dans notre orgueil. On tenait à leur démontrer qu’on avait gagné parce qu’on savait jouer au basket et qu’on le faisait plutôt bien ensemble. Et ça, on l’a démontré sur le terrain. »
Élodie Godin : « Ce match-là, on le domine du début jusqu’à la fin. Je pense qu’on n’a pas eu peur une seconde. J’ai vu sur les visages des filles qu’on allait y arriver. Tout le monde était déterminé, super concentré. Dès le début du match, on les a prises à la gorge, elles ne pouvaient rien faire. Elles ont commencé à douter. Cette grande équipe russe qui doute, normalement, il y a réaction et il n’y a pas eu réaction parce qu’on insistait, on insistait. Il y avait +5, +10, +15, je crois que l’écart est monté jusqu’à +17. C’était un écart énorme. C’était une victoire… je ne vais pas dire qu’on était championnes olympiques, mais on savait très bien qu’après… En passant ces demi-finales, c’était l’assurance d’une médaille et c’était magnifique. »
« Comme des gamines à Disneyland »
Isabelle Yacoubou : « C'était la première médaille de l'histoire du basket féminin français. Ce n’était même pas rêvé avant le début de la compétition. Déjà dans le village, on était comme des gamines à Disneyland, alors une médaille... »
Élodie Godin : « C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de prendre ma retraite internationale, parce que j’ai eu une médaille olympique. C’est le rêve de tout sportif, je pense. Je ne me souviens plus de la finale, juste du podium. Dessus, on ne pense pas aux efforts qu’il a fallu faire. On apprécie juste le moment. On est comme des gamines à regarder cette médaille. En plus, franchement, elle est magnifique. Bon, il n’y a pas eu l’hymne national français, mais ce n’est pas grave. C’était vraiment quelque chose. »
Un engouement assez vite retombé
Isabelle Yacoubou : « Dans la vie, il faut saisir les opportunités quand elles passent. On a très bien saisi notre chance et vécu un truc de fou. »
Élodie Godin : « Ça fait quelques années quand même, donc on ne m’en reparle plus vraiment. Il y a d’autres JO, il y a eu pas mal de médailles entre-temps. Des fois, les filles (du Bourges Basket, NDLR) aiment bien me chambrer là-dessus. Mais non, on n'en parle plus trop. Après cette médaille, il y a eu beaucoup de bruit. Mais ce petit moment de gloire est quand même assez vite retombé. Moi, ça me va. Je fais ça pour moi, donc ce n’est pas forcément quelque chose derrière lequel je cours. Depuis, on s'est habitué aux médailles de l’équipe de France. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques années, pour avoir un podium, on galérait et on ne l’avait pas souvent. Maintenant pratiquement tous les ans, elles font une médaille. Moi, j’ai perdu je ne sais combien de quarts de finale. Les gens l’oublient un petit peu. Parce qu’on a eu une médaille olympique et qu’on a été championnes d’Europe, les gens pensent que ça va être comme ça tous les ans. »
« Ces médailles ne sont pas suffisamment valorisées »
Isabelle Yacoubou : « Toute ma carrière, j’ai milité pour la reconnaissance de mon sport. Évidemment que, comme le dit Élodie, on a ce sentiment que ces médailles ne sont pas suffisamment valorisées. On a été championnes d’Europe (en 2009, NDLR) et personne ne le savait. C’est vrai qu’après les Jeux de 2012, il y a eu une médiatisation du basket féminin qui a été plus importante. L’organisation de l’Euro 2013 en France, ça a permis de donner de l’ampleur. Mais, c'est vite retombé. Les Berruyers sont bien placés pour le comprendre. Quand on est habitué à gagner, on banalise l’exploit. Mais ce n’est pas facile d’enchaîner des médailles. Une équipe qui arrive tous les deux ans à ramener une médaille européenne, c’est très louable. C’est important de le valoriser. Ce n’est absolument pas des acquis. »
Élodie Godin : « Je trouve que c’est admirable ce qu’elles font. Certes, elles n’arrivent pas à avoir cette médaille d’or, mais ça viendra. Il y a quinze ans, une médaille d’argent, ça aurait été extraordinaire et ça aurait fait du bruit. Ca me dérange un petit peu parce qu’on oublie tout le travail qui est fourni et que l’on n’est pas les seules à le fournir. On n'est pas la seule nation à travailler. »
Propos recueillis par Ludovic Aurégan.