1770 : l’une est blonde, le visage fermé, et engoncée dans sa robe longue quand l’autre, la poitrine décolletée, s’épanouit dans sa vie d’artiste. Adèle Haenel – qui avait déjà tourné avec Céline Sciamma en 2007 pour Naissance des pieuvres et a été sa compagne – et Noémie Merlant sont à l’écran Héloïse et Marianne, deux femmes dont les vies vont se mêler alors que rien ne les prédestine à se rencontrer.
Derrière la caméra, la réalisatrice Céline Sciamma qui, pour ce film, a été récompensée au dernier Festival de Cannes par le prix du meilleur scénario. Eclairage.
Jusqu’alors vous étiez plutôt du côté du contemporain, une réalisatrice de notre temps. Pourquoi ce bond en arrière avec un film situé au XVIIIe siècle ?
Ce n’est pas parce que les problématiques sont anciennes qu’elles n’ont pas leur actualité. Quand je me suis plongée dans la documentation j’en savais très peu sur la réalité des peintres femmes de cette époque. La difficulté à collecter des informations et des archives n’a pas réussi à faire longtemps écran à l’existence d’une véritable ébullition artistique féminine dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les peintres étaient nombreuses et faisaient carrière à la faveur notamment de la mode du portrait. Des critiques d’Art féminines, des revendications à accéder à plus d’égalité et de visibilité, tout est déjà là. Dans ce contexte une centaine de peintres femmes ont mené leurs vies et leurs carrières avec succès. Bon nombre d’entre elles sont dans les collections des grands musées. Mais on ne les a pas fait rentrer dans les récits d’Histoire. Quand j’ai rencontré le travail de ses peintres oubliées, j’ai ressenti une grande excitation et une tristesse aussi. La tristesse de l’anonymat total de ces œuvres condamnées au secret.
Comment avez-vous abordé les enjeux de mise en scène liés à la reconstitution ?
Le film en costume semble se fabriquer plus qu’un autre, rameuter tout un monde, des moyens, des besoins, des experts, des angoisses de reconstitution. En réalité c’est le même processus de travail. Une fois exclu l’anachronisme on compose avec la vérité historique des décors et des costumes comme on compose avec le réel dans un film contemporain. La question reste la même : quel imaginaire déploie-t-on en collaboration avec la vérité.
Céline Sciamma a été récompensée au dernier Festival de Cannes par le prix du meilleur scénario pour son film. © DR
Les interprètes sont centrales dans cet enjeu d’incarnation.
Le rôle d’Héloïse est pensé pour Adèle Haenel. Le personnage s’est écrit en s’appuyant sur toutes les qualités dont elle a fait la solide démonstration ses dernières années. Mais il s’est aussi écrit avec l’ambition d’une partition neuve pour Adèle. Des choses que l’on ne savait pas encore d’elle. Des choses que, pour certaines, j’ignorais moi-même, tout en y ayant rêvé.
Aux côtés d’Adèle Haenel, vous avez fait le choix d’un nouveau visage.
Un visage inconnu de moi (Noémie Merlant ndlr) mais qui n’est pas pour autant une débutante. Je pensais à l’opportunité de fiction et de croyance que créerait pour le film la rencontre totale avec une comédienne, dans la dynamique amoureuse notamment. J’avais à cœur de créer un duo, un couple de cinéma qui aurait sa part iconique donc sa part inédite.
L'histoire - 1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.